les Barbares
Albert Vaguet (Marcomir) lors de la création [photo Nadar]
Tragédie lyrique en trois actes et un prologue, livret de Victorien SARDOU et Pierre-Barthélemy GHEUSI, musique de Camille SAINT-SAËNS (composée en 1901).
Création au Théâtre de l'Opéra (Palais Garnier) le 23 octobre 1901 (répétition générale le 20 octobre) ; mise en scène de Pedro Gailhard ; chorégraphie de Joseph Hansen ; décors de Marcel Jambon et Alexandre Bailly ; costumes de Charles Bianchini. => maquettes des costumes pour la création
L'acte II fut représenté seul à l’Opéra au cours de Galas :
Le 19 juin 1913, avec Mme Marcelle DEMOUGEOT (Floria), M. Charles FONTAINE (Marcomir), sous la direction de Camille SAINT-SAËNS.
A deux reprises, au cours de la saison 1915-1916, avec Mme Jeanne HATTO (Floria), M. Léon LAFFITTE (Marcomir), sous la direction de Henri BÜSSER.
Le duo de l'acte II fut donné le 22 avril 1914 lors d'un gala en l'honneur du Roi et la Reine de Grande-Bretagne, avec Mme Jeanne HATTO (Floria), M. Charles FONTAINE (Marcomir), sous la direction de Camille SAINT-SAËNS.
32 représentations à l’Opéra au 31 décembre 1961.
personnages |
emplois |
Opéra de Paris 23 octobre 1901 création |
Opéra de Paris 15 décembre 1902 28e |
Floria | soprano | Mmes Jeanne HATTO | Mmes Jeanne HATTO |
Livie | contralto | Meyriane HÉGLON-LEROUX | Meyriane HÉGLON-LEROUX |
une Gallo-Romaine | Camille VINCENT | Camille VINCENT | |
Marcomir | ténor | MM. Albert VAGUET | MM. Charles ROUSSELIÈRE |
Scaurus | basse | Francisque DELMAS | Fernand BAËR |
le Récitant | |||
le Veilleur | ténor | Charles ROUSSELIÈRE | Georges Joseph CABILLOT |
Hildibrath | baryton | Jean RIDDEZ | Jean RIDDEZ |
le Grand Sacrificateur | Jean Fernand DENOYÉ | Jean Fernand DENOYÉ | |
deux Habitants |
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Jules GALLOIS François CANCELIER |
Jules GALLOIS François CANCELIER |
Ballet de l'acte III | Mlles Torri, Beauvais, Carré, G. Couat, Barbier, Carrelet, Soubrier, Meunier, Billon, Mouret, Parent, Mestais, L. Mante | ||
Germains, Légionnaires, Romains, Habitants d'Orange, Vestales, Femmes et Enfants gallo-romains | |||
Chef d'orchestre | Paul TAFFANEL |
La scène est à Orange, un siècle avant J.-C. pendant l'invasion des Teutons.
Albert Vaguet [à g.], P.-B. Gheusi et Camille Saint-Saëns au piano, pendant une répétition des Barbares (1901)
Camille Saint-Saëns et ses interprètes des Barbares à Vichy en 1913
Argument
Un siècle avant le Christ, trois cent mille Germains, chassés des rives de la Baltique par le débordement de la mer, se ruèrent sur le monde romain. Incendiant les cités, exterminant les légions, semant partout la ruine et l'épouvante, les Teutons passèrent comme un torrent à travers la Gaule dévastée.
I Sous les murs d'Orange, investie de tous côtés par les hordes germaniques, l'armée romaine des consuls Scaurus et Euryale se défend en désespérée. Le Théâtre, mieux protégé, semble-t-il, par la masse géante de ses murs, est devenu la dernière citadelle des Dieux Lares et de l'autel où brûle le Feu sacré. Confiante dans les présages de Vesta, qui promettent la délivrance de la ville, la grande prêtresse Floria groupe autour d'elle les enfants, les femmes et les vierges du culte vénéré. Leurs prières implorent le ciel, tandis que le Veilleur décrit les phases du combat suprême, de plus en plus meurtrier pour les Romains, et rappelle avec terreur la férocité des assaillants. Floria espère que les Barbares, adorateurs du Feu, le respecteront sur l'autel de Vesta. Livie, exaltant la valeur d'Euryale, son époux, partage la confiance de la prêtresse et ne veut prévoir que la victoire des légions romaines, jusqu'au moment où le Veilleur annonce la chute du consul, dont Scaurus rapporte le corps ensanglanté. Blessé, débordé de toutes parts, le chef survivant conseille aux femmes de s'enfuir, tandis qu'avec une poignée de héros, il va se faire tuer au seuil de la poterne voisine, pour donner aux Gallo-Romaines le temps de gagner la campagne et de se soustraire au trépas. Livie, altérée de vengeance, cherche à connaître le nom du meurtrier d'Euryale ; dans la confusion de l'assaut, nul ne l'a remarqué ; sur le corps du consul, elle jure de le découvrir elle-même et de le frapper de sa propre main. Floria, cependant, arrête la panique des femmes et les réunit autour de l'autel de Vesta. Triomphant de la vaine résistance de Scaurus, les Barbares d'Hildibrath envahissent le Théâtre et se jettent sur les Vestales, le glaive au poing, à travers les clameurs du massacre et les lueurs de l'incendie. Survient alors Marcomir, leur chef redouté ; il ne les arrête un instant que pour confirmer l'ordre meurtrier d'Hildibrath et se ruer, à leur tête, contre l'autel de Vesta. Mais Floria a fait un geste vers le foyer sacré, d'où jaillissent soudain de hautes flammes. Les Barbares reculent devant cette manifestation du dieu du Feu, qu'ils adorent sous le nom de Thor. Marcomir, subjugué par la fière beauté de Floria, l'interroge avec douceur et chasse ses guerriers de l'asile interdit à leurs fureurs jusqu'à ce qu'il ait fixé le sort des femmes épargnées. La vierge et le héros germain se contemplent en silence.
II La nuit descend sur le Théâtre où dorment les enfants, les femmes et les Vestales de Floria ; seule, Livie se lamente, exaspérée de vengeance et de deuil. Floria, qui voudrait l'exhorter à plus de résignation, attribue à Vesta la clémence des Barbares ; la veuve d'Euryale y reconnaît l'intervention de Vénus, dont le caprice inspira à Marcomir une passion soudaine pour la vierge, troublée elle-même à son insu. L'arrivée de Scaurus remet en question le salut des Romaines : le blessé, revenu à lui sous un monceau de morts, s'est glissé dans le Théâtre pour y rallier les femmes et les guider, par un sentier sûr, vers les légions libératrices, descendues des Alpes. Floria refuse d'organiser cette fuite aventureuse : elle croit à la parole de Marcomir ; ses compagnes l'approuvent, ainsi que Livie retenue à Orange par de funèbres devoirs. Mais Scaurus, reconnu et suivi par les sentinelles germaines, se livre à Hildibrath, qui s'apprête à l'égorger hors du temple. Floria, épouvantée, appelle Marcomir ; il accourt, accorde à la prêtresse la grâce de Scaurus, malgré les imprécations du captif qui redoute, sous tant de docilité, quelque projet ténébreux. Le Barbare, en effet, demeuré seul avec la prêtresse qu'il n'a pu revoir avec indifférence, justifie les craintes de Scaurus : il a sauvé les Romaines et la vierge, donné, pour lui plaire, la vie et la liberté à son prisonnier ; mais il attend la récompense que mérite son amour : ce sera le gage suprême du salut des femmes et des enfants. Floria s'alarme, s'indigne en vain contre Marcomir. Résolu, il annonce les suites fatales de l'orgie des vainqueurs, l'égorgement des survivantes et de la Vestale elle-même ; si elle se donne à lui, c'est, pour la ville entière, la délivrance immédiate. Dans sa détresse, Floria invoque son vœu sacré et la générosité du Germain ; les clameurs des Barbares grandissent, glaçant son cœur, où s'éveillent des sentiments confus. Marcomir lui reproche un égoïsme qui va livrer ses sœurs aux flammes et au massacre. L'indignation de la vierge épuise ses dernières résistances ; elle supplie le chef de lui laisser le temps de réfléchir et, s'il veut n'être point haï, de ne pas lui imposer le marché brutal qui l'outrage. Mais lui, ne doutant plus de sa victoire, maintient ses conditions, pendant que la clameur de mort emplit la cité... Floria, éperdue de terreur, cède enfin et consent à racheter la vie de ses compagnes... Marcomir rappelle Hildibrath, lui donne ses ordres, exécutés aussitôt ; la ville retombe dans le silence ; au point du jour, les envahisseurs la quitteront, sans l'avoir livrée aux flammes. Alors, sous le ciel rasséréné, l'entretien du héros et de la Vestale révèle à celle-ci la délicatesse magnanime de Marcomir ; dépouillé de sa rudesse originelle, conquis par le charme ineffable de Floria, il ne veut plus se réclamer auprès d'elle du serment qu'elle a prononcé. Et c'est d'elle seule qu'il l'obtient, lorsque le trouble de la prêtresse, sa reconnaissance, l'amour enfin, dissipant les derniers scrupules de la vierge, l'abandonnent, confiante, aux bras de son vainqueur.
III Au point du jour, les Barbares quittent Orange, emportant le butin, mais respectant les demeures et les habitants, qui n'osent croire encore à leur délivrance. Scaurus la leur confirme et fait organiser les sacrifices aux dieux libérateurs, parmi les réjouissances populaires, les danses et les jeux, ordonnés selon les rythmes latins, terminés par une pittoresque « farandole ». La foule s'incline alors devant Floria ; mais ignorant qu'elle lui doit son salut, à la nouvelle que la grande prêtresse abandonne le culte austère de Vesta pour suivre Marcomir, son époux, dans le camp barbare, elle proteste et s'indigne. Scaurus lui apprend le sacrifice de la vierge et toute la ville se prosterne, dans un élan de gratitude unanime, aux genoux de la libératrice. Marcomir vient donner à Floria le signal du départ et la confier à son escorte ; mais, d'abord, il rend à Scaurus la dignité suprême. Toutes les Vestales voudraient suivre Floria : elle ne consent à emmener, parmi les hasards de l'invasion, que la malheureuse Livie : celle-ci, occupée des solennelles funérailles de son époux, songe toujours en secret à retrouver, au milieu des Barbares, le meurtrier d'Euryale et à l'immoler de sa propre main. Alors, durant le défilé du cortège funèbre, Floria apprend que le vainqueur d'Euryale n'est autre que Marcomir ; elle connaît le dessein tragique de Livie et l'éloignera de son époux. Son angoisse, son refus brusque d'emmener l'infortunée après qu'elle venait de consentir à la garder, un mouvement instinctif de la jeune femme pour s'interposer entre le Barbare et la veuve d'Euryale, armée du javelot qu'elle a retiré du corps ensanglanté, font pressentir à celle-ci que Marcomir pourrait être le meurtrier qu'elle cherche. Elle s'en assure par un stratagème, — en accusant le vainqueur inconnu d'avoir frappé le consul par trahison, dans le dos. — « Tu mens ! c'était au cœur ! » s'écrie le Barbare indigné, dans un aveu décisif. — « Au cœur donc ! » riposte Livie, en le frappant à son tour. Et la mort de Marcomir venge à la fois le trépas d'Euryale et l'outrage de Cypris à Vesta.
(extrait du livret)
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L'action se passe sous les murs d'Orange, un siècle avant Jésus-Christ, à l'époque de l'invasion des Teutons. A l'entrée du drame, les Barbares sont aux prises avec les Romains, faiblissant sous le nombre, tandis que Floria, la grande prêtresse de Vesta, s'est réfugiée dans l'amphithéâtre , avec les vierges ses compagnes, les femmes et les enfants épouvantés. L'un des deux consuls qui combattent, Euryale, vient d'être tué, et sa veuve, Livie, jure de le venger. L'autre, Scaurus, vient engager les femmes à s'enfuir, pendant qu'il se fera tuer lui-même pour leur donner le temps d'échapper à la mort. Mais Floria résiste, espérant encore. Tout à coup les Germains vainqueurs envahissent l'arène, leur chef Marcomir à leur tête, se préparant à tout massacrer. Et voici que Marcomir, fasciné par la fière beauté de Floria, après lui avoir adressé quelques paroles, chasse ses guerriers, avec défense de pénétrer de nouveau dans l'enceinte. Et le rideau tombe sur un regard silencieusement échangé entre la vestale et le héros germain. Au second acte, Scaurus est tombé aux mains des sentinelles ennemies, et les Barbares s'apprêtent à l'égorger. Sur un cri de Floria accourt Marcomir, qui lui accorde la vie de Scaurus. Mais, resté seul avec elle, il lui découvre la passion qu'elle lui a inspiré. Qu'elle consente à le suivre, et la ville sera sauvée. Elle s'indigne et résiste. Il lui fait entendre alors les chants de mort de ses soldats ivres. Floria éperdue, terrifiée, sans défense, cède devant ces clameurs sauvages, et Marcomir, après avoir donné aux siens l'ordre d'épargner la ville et de partir au point du jour, revient auprès d'elle. Mais il est transformé. Il n'exige plus, il prie, lui déclare qu'il ne veut la tenir que de sa libre volonté, et elle, touchée de sa magnanimité, l'âme envahie d'ailleurs par un amour dont elle se défendait en vain, finit par tomber aux bras de son vainqueur. Nous assistons au départ des Barbares, et Floria s'apprête elle-même à suivre celui qui doit être son époux. Livie est là, toujours farouche, toujours songeant à venger celui qu'elle a perdu. Comme elle soupçonne Marcomir à ce sujet, elle use d'un stratagème pour acquérir la certitude de la vérité qu'elle entrevoit, et elle s'écrie : « Je veux punir le lâche qui, feignant de se rendre à mon époux vainqueur, l’a frappé dans le dos. — Tu mens », dit aussitôt Marcomir, indigné de cette accusation ; « c'était au cœur. » Et Livie, se jetant alors sur lui, le poignarde en disant : « Au cœur, donc ! » Peu d'action, on le voit, dans cette pièce. Et l'on doit d'autant plus le regretter que l'œuvre du musicien s'en est assurément ressentie, et que la partition des Barbares, en dépit de son style magistral, est loin de compter parmi les meilleures du grand artiste qu'est M. Saint-Saëns. Mon regret est profond d'être obligé de le dire, mais à quoi bon déguiser ce qu'on croit être la vérité ? Ce qu'on doit reprocher à l'auteur des Barbares, c'est, après un manque trop évident d'inspiration, l'incertitude où nous jette son œuvre, par suite de l'incertitude où il parait s'être trouvé lui-même en l'écrivant. Qu'a-t-il voulu faire ? De quel côté a-t-il voulu se tourner ? On n'en sait rien, nul ne le pourrait dire, le but qu'il poursuit reste inconnu, et il semble, par son indécision, par l'hésitation dont témoigne son œuvre, avoir manqué de l'audace nécessaire et de franchise envers lui-même. On se rappelle involontairement, en entendant cette musique, la fière déclaration faite naguère par M. Saint-Saëns : « Je n'ai jamais été, je ne suis pas, je ne serai jamais de la religion wagnérienne. » Assurément, son œuvre n'est pas wagnérienne par certains côtés ; on n'y trouve que peu de traces de leitmotive, et l'orchestre se tient à sa place, n'accapare pas insolemment l'attention et ne s'efforce pas d'étouffer les voix sous son fracas instrumental. Mais, d'autre part, l'auteur emprunte pourtant aux procédés wagnériens le système détestable de la déclamation continue, la volonté de ne point construire de morceaux et celle d'éviter avec soin les ensembles. C'est cette façon d'agir qui me paraît blâmable, parce qu'elle a eu pour résultat de produire une œuvre sans caractère, sans couleur et sans portée. M. Saint-Saëns ne nous a pas habitués à le voir manquer de franchise ; à tout le moins a-t-il manqué ici de volonté et de décision. On attendait mieux de l'auteur de Samson et Dalila et de la symphonie en ut mineur. La partition froide et incolore des Barbares ne saurait donc rien ajouter à la renommée et à la gloire de M. Saint-Saëns. Faut-il, après cela, constater de nouveau qu'elle est écrite de main de maître ? Il serait assurément peu croyable qu'il en fût autrement. Mais c'est au théâtre surtout que la forme ne suffit pas, et que le fond importe avant tout. Or, c'est le fond, c'est-à-dire la véritable inspiration, qui fait ici le plus complètement défaut, et la pauvreté du sujet n'est certainement pas étrangère à ce fait. Cependant, là même où la situation aurait pu le porter, comme dans la grande scène de Floria et de Marcomir, le compositeur n'a pas trouvé un accent, un élan, un cri du cœur pour souligner cette situation. Il y a sans doute quelques pages heureuses dans la partition, comme l'introduction symphonique du premier acte, la jolie scène de Floria et des femmes, où le chœur de celles-ci reprend d'une façon poétique chacune des phrases établies par la prêtresse, puis encore le chant vigoureux de la délivrance, au troisième acte : Divinité libératrice ! et enfin, de côté et d'autre, quelques phrases bien venues, avec, parfois, certains effets d'orchestre inattendus ou délicieux. Mais tout cela, il faut bien le dire, ne suffit pas à constituer une œuvre sérieuse et viable.
(Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1904)
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décor de Marcel Jambon pour la création
Catalogue des morceaux
Prologue | ||
Introduction | ||
le Récitant : Un siècle avant le Christ | le Récitant | |
Acte I | ||
Scène I | Choeur des Vestales : Soeur de Minerve | Floria, Vestales, Femmes et Enfants, le Veilleur, puis Livie |
Scène II | Livie : Euryale, je te le jure | les Précédents, Scaurus et ses Guerriers |
Scène III | les Précédents moins Scaurus | |
Scène IV | les Précédents, Hildibrath et les Barbares, puis Marcomir | |
Acte II | ||
Prélude | ||
Scène I | Livie et Floria : Vénus qui peut briser | Livie, puis Floria, Femmes et Enfants endormis |
Scène II | les Précédents, Scaurus, puis le Veilleur | |
Scène III | Floria, Scaurus, Hildibrath, les Femmes et les Barbares | |
Scène IV | les Précédents et Marcomir | |
Scène V | Floria : En mon coeur prêt à se briser | Marcomir, Floria (Hildibrath et les Barbares dans la coulisse) |
Acte III | ||
Prélude | ||
le Veilleur : C'est Apollon Entrée des Joueurs de flûte 1er Air de Ballet 2e Air de Ballet Farandole |
Hildibrath, le Veilleur, puis Scaurus, les Barbares, Habitants d'Orange, Hommes, Femmes et Enfants |
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Scaurus : Insensés, taisez-vous Floria : Marcomir, le noble roi |
les Précédents, Floria, Livie, les Vestales |
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Marcomir : Depuis longtemps par chaque porte Livie : O noble époux |
les Précédents, Marcomir |
LIVRET
(édition de juin 1902)
Pendant le prologue musical, le rideau se lève sur le théâtre antique d'Orange, apparu graduellement. Le Récitant (SCAURUS), devenu visible peu à peu, résume les grandes lignes de l'action.
Un siècle avant le Christ, Rome trembla. Contre elle, Trois cent mille Germains, géants aux cheveux roux, Chassés du Nord brumeux que l'ouragan harcèle, S'abattirent soudain, hurlant comme des loups.
Les légions fuyaient devant eux. L'épouvante S'emparait des cités aux clameurs de leurs voix. Les Gaulois, sous le flux de la houle grondante, Cherchaient leur salut dans les bois.
— Dans Orange investie, une jeune Vestale Seule, arrêtant le flot impur, Maîtrisa la tourbe brutale Par l'auguste fierté de son regard d'azur.
Vierge, elle se donna pour racheter la ville. Cypris, malgré Vesta, s'éveilla dans son cœur ; Mais la chaste déesse, à tout amour hostile, Vengea l'outrage aux dieux dans le sang du vainqueur. Le Récitant et le décor disparaissent progressivement. La musique continue. Rideau.
ACTE PREMIER
Au temps de l'invasion Cimbrique, un siècle avant Jésus-Christ, dans le théâtre romain d'Orange, devenu l'asile suprême des Dieux Lares. Autour de l'autel de Vesta, une foule d'enfants, de vierges et de femmes, accourus par groupes, viennent implorer le ciel. Au centre, appuyée contre l'autel lui-même, la grande vestale Floria, dominant les prêtresses et la foule, observe anxieusement le feu sacré, qu'elle attise parfois de ses baguettes d'or.
FLORIA, LIVIE, LE VEILLEUR, FEMMES,
VESTALES et ENFANTS. CHŒUR. Dieux des Romains, combattez pour nos frères ! Dieux puissants, protégez nos murs ! Du joug des Barbares impurs, Sauvez-nous, ô dieux tutélaires !
FLORIA, calme et rassurée, désigne le mur gigantesque du théâtre. [Dans l'asile suprême où son culte immortel Loin du temple assiégé rallume son autel,]* Vesta nous défend et nous venge : Elle a promis de délivrer Orange. *[Supprimé au théâtre.]
LE VEILLEUR, avec douleur. Hélas ! prêtresse ! A l'abri des remparts Euryale a mené les survivants épars. L'assaut des Barbares les presse ; Rien ne pourra dompter la rage vengeresse Des ennemis !
FLORIA, confiante, montrant la flamme de Vesta. Ils adorent le Feu ; Leurs mains vers ses autels se tendent, désarmées.
LE VEILLEUR. Ils n'ont ni loi, ni cœur, ni dieu ! Ils menacent de leurs framées Le ciel lui-même et brisent les images Des dieux. Partout où leur flot a roulé, Le sang empourpre les rivages ; L'herbe ne croît plus sur le sol qu'ils ont foulé.
LIVIE, survenant auprès de la prêtresse. Scaurus et mon époux, l'invincible Euryale, Veillent tous deux sur nos dangers. Dans le sang vil des étrangers Ils noieront à jamais leur fureur bestiale.
FLORIA. Prions Vesta : nos morts seront vengés.
FLORIA, LIVIE et le CHŒUR. Sœur de Minerve et de Mithra, Ame du Feu, déesse de la vie, Détourne de nous la furie Des loups barbares, ô Vesta !
FLORIA, ayant, une dernière fois, ravivé la flamme sacrée de sa baguette d'or, rassure les femmes et leur rend confiance. Mon âme est calme ; mon cœur bat Sans trouble ; nul péril mortel ne nous assiège. Vesta nous entend, nous protège ! Veilleur, cours à ton poste observer le combat. Tous les regards suivent anxieusement l'ascension du Veilleur qui, le long d'une corniche haute, parvient à une fenêtre d'où il domine les remparts.
LIVIE, avec fièvre. Nomme les chefs debout sur la muraille !
[LE VEILLEUR, après un coup d'œil rapide et avec la fierté de l'enthousiasme. Comme une faux dans les blés mûrs, Notre armée, en avant des murs, S'enfonce parmi la bataille. Joie dans la foule.
LIVIE, exaltée. Le consul Euryale est vainqueur ! Mon époux Et Scaurus sauveront la ville !
FLORIA, à part, interrogeant la flamme prophétique. Vesta parle : l'un d'eux doit périr sous les coups Meurtriers de la horde vile !] Au veilleur. Dis-nous encor Si Rome aura la victoire ou la mort ! Rumeurs. Geste terrifié du Veilleur. Frayeur des femmes.
LIVIE, angoissée. Veilleur, si la cohorte De mon époux défend toujours la porte, Vois-tu son chef ?... Dis-moi la vérité. A son manteau de pourpre consulaire, Tu le reconnaîtras.
LE VEILLEUR. Il vit !... A son côté Combat Scaurus.
LIVIE, avec un confiant orgueil. Déesse tutélaire, Mon Euryale nous défend : Rien ne menace plus ton autel triomphant !
FLORIA, obsédée de mauvais présages.
La flamme a vacillé sous le souffle d'une
aile
LE VEILLEUR, dans un cri. Dieux !
LIVIE, inquiète, au Veilleur. Parle !... que vois-tu ?
LE VEILLEUR. Le manteau de pourpre abattu...
LIVIE, avec désespoir.
Euryale ! Euryale !... Adieu !... Je vais
moi-même, Succomber du même trépas ! Une violente clameur annonce la victoire des Barbares et la défaite des Romains. Floria et les Vestales barrent le chemin à Livie, qui veut courir au dehors.
FLORIA. Entends ces cris affreux !... Tu ne sortiras pas ! Sur le seuil du théâtre parait Scaurus, blessé, soutenu par deux légionnaires. Derrière lui, un groupe de soldats rapporte le corps d'Euryale, enveloppé dans son manteau de pourpre.
LES PRÉCÉDENTS, SCAURUS.
SCAURUS, aux femmes qui se pressent autour de lui. Fuyez !
LIVIE, à Scaurus. Et mon époux ?
SCAURUS. O douloureuse épreuve ! Détourné vers le groupe funèbre. Rendez son corps tout sanglant à sa veuve. Romaine, elle connaît ses devoirs envers lui. Sur le corps du consul tué, Livie s'est jetée, muette et farouche. Scaurus est debout devant eux. Mon bras n'a pu le sauver aujourd'hui ; Partout de sa valeur il a donné la preuve. Il m'aura précédé dans la mort !... Fuyez-la, Femmes d'Orange et vierges de Vesta ! La poterne forcée, Orange est aux Barbares. Femmes, fuyez ! emportez les Dieux Lares, Tandis que, repoussant l'assaut des ennemis, Nous défendons contre eux vos suprêmes abris... Allons mourir pour Rome et qu'elle nous honore !
LIVIE se dresse devant lui, désignant le corps d'Euryale. Qui l'a tué ?
SCAURUS. Qui ?... Je l'ignore. Tumulte au dehors. Mais ne m'arrête plus !... Adieu ! femmes ! Demain, Rome nous vengera !
LES MÊMES, moins SCAURUS.
LIVIE, farouche. Peut-être par ma main ! Dans un serment de haine et de foi, tandis que Scaurus et ses compagnons sortent en hâte. Euryale, je te le jure Devant le jour cruel et le ciel inclément, C'est moi qui vengerai, débile créature, La mort de mon superbe alliant ! Par Vesta, par le Styx ! je t'en fais le serment !
[Dans le sang du vainqueur j'assouvirai ta haine ! La mienne te survit pour accomplir tes vœux : En ton regard éteint je lis ce que tu veux Et tu seras vengé par moi, j'en suis certaine ! Repose, calme, ô mon amant ! Par Vesta ! par le Styx ! je t'en fais le serment !] Livie, éclatant en sanglots, défaille dans les bras de ses compagnes.
FLORIA confie Livie à des Vestales qui l'emmènent. Sur un geste d'elle, les vieillards et les femmes emportent le corps du consul. Les femmes s'emparent des Dieux Lares et se disposent à fuir. Ne fuyez pas !... Vesta gardera de l'offense
Les femmes, les enfants, les vierges sans
défense.
LE VEILLEUR, toujours aux aguets, annonce le suprême désastre. Malheur sur nous ! Par le nombre accablé, Scaurus a disparu. La porte, Tombée au pouvoir des Germains, Leur ouvre la ville qu'emporte Un assaut furieux des tueurs inhumains ! Immobilité de la foule, tournée vers l'entrée du Théâtre. En avant, l'autel où la flamme se meurt. Près de lui, Floria, debout, hiératique, domine les groupes, Vestales, femmes et jeunes filles. Au dehors, montée formidable des clameurs, stridents appels de trompes et des trompettes.
LES MÊMES, HILDIBRATH, LES BARBARES, puis MARCOMIR. Au moment où le tumulte éclate avec le plus de véhémence, Hildibrath et ses guerriers font irruption, les armes hautes. Hurlements farouches des Barbares.
HILDIBRATH, puis les Teutons. La mort ! le sang ! le feu ! la hache ! Périsse tout le peuple lâche, Rome elle-même qui se cache Derrière les monts et les mers ! Odin et Thor tonnent ensemble ; La foudre éclate ! Rome tremble ! A nous la gloire et l'univers ! Hildibrath lance ses guerriers contre les femmes épouvantées. Tuez ! Tuez !... Au même instant, des fanfares annoncent la venue du chef Teuton. Les Barbares s'arrêtent, se détournent, en deux haies, vers l'entrée et attendent Marcomir, qui paraît presque aussitôt, l'épée au poing. Salué des siens, il les courbe sous son regard.
MARCOMIR, désignant le troupeau confus des femmes en prières. Guerriers, je vous livre ces femmes. Donnez-leur, à vos choix, l'esclavage ou la mort
LES BARBARES. La mort ! La mort !
MARCOMIR, indifférent. Immolez sans remord A nos dieux irrités ces Romaines infâmes Et, sur leurs corps souillés, renversons leurs autels ! Suivi des siens, il s'est rué sur l'autel de Vesta. Floria fait un geste vers le Feu, qui jaillit en haute flamme.
HILDIBRATH, tandis que Marcomir s'arrête stupéfait. Thor ! Second pas du chef menaçant. Deuxième flamme sur l'autel.
MARCOMIR, saisi d'un religieux effroi. C'est lui !
HILDIBRATH, puis les Barbares témoins du miracle. Notre dieu se dévoile aux mortels !
MARCOMIR interroge Floria avec émotion. Qui donc es-tu, femme impassible, aux yeux De flamme ? Le dieu Thor, sous ton mystique geste, A jailli devant nous en lumière céleste. Quel est ton nom, ô toi qui commandes aux dieux ?
FLORIA. Mon nom est Floria. Je suis prêtresse De Vesta, déesse du Feu.
MARCOMIR, subjugué. [Un rayon clair anime ton œil bleu,] Ta voix est comme une caresse ; En te vouant aux mystères divins, Les dieux ont honoré ta beauté sans rivale, [Mais veulent en ce jour élu par les destins,] Que l'amour d'un héros couronne ton front pâle !
FLORIA. Vesta garde mon cœur des orages mortels, Ma vie a la candeur paisible des autels.
LES BARBARES, rompant le silence du chef étonné. A mort, l'impie ! à mort, cette Romaine ! Marcomir lui parle sans haine ! A mort ! à mort !
MARCOMIR, furieux, marche sur les Barbares qui reculent, effrayés, devant lui. Hors d'ici, tous les miens ! Hildibrath, chasse-les ! Aux chars de guerre Qu'ils portent le butin ! Murmures de crainte et de colère. Arrière, Chiens avides et fils de chiens ! Dans ce lieu vénéré, que je proclame asile, Nul ne pénétrera sans mériter la mort ! Tous se courbent, dociles, devant le glaive de Marcomir et se retirent en silence. Désignant, d'un geste, les femmes. De ce troupeau servile, Plus tard, je fixerai le sort ! Marcomir a voulu suivre les siens ; mais, à mi-chemin, il se retourne et, immobile, contemple Floria qui, distraite de son culte et du Feu sacré, s'oublie à le regarder aussi. Rideau.
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ACTE DEUXIÈME
En décor, le même Théâtre, vu de côté. Au fond, les gradins déserts et une partie du vaste hémicycle de pierre. Les lueurs de la lune éclairent le Théâtre. Pans d'ombre.
LIVIE, FEMMES et ENFANTS, puis FLORIA. Livie traverse les groupes de femmes et d'enfants endormis sur la scène. Elle se dirige vers l'autel.
LIVIE. Tout dort dans la nuit lourde. Le ciel est froid ; la terre sourde ! Pas un guerrier, pas un héros Pour clouer au gibet ces bourreaux Et les livrer aux supplices infâmes ! Pas un homme vivant !... Des enfants et des femmes ! Le geste implorant et désespéré. Euryale, reviens nous secourir ! Dis-moi le nom, le rang ou montre-moi la tente De ton vainqueur ! C'est de ma main qu'il doit périr ! Mon bras te donnera la vengeance éclatante !
FLORIA, entrée sur ces mots, à Livie. Calme-toi, noble sœur, et rends grâce à Vesta : Elle a sauvé nos jours, les tiens.
LIVIE, avec une amère douleur. Ce n'est pas elle ! C'est Vénus, à la fois plus douce et plus cruelle ; Par elle, Marcomir, désarmé devant toi, A frémi de te voir si belle Et s'est incliné sous ta loi !...
Vénus qui peut briser, comme un roseau, la force, La volonté, la vertu, la fierté, Vénus par qui la fleur sort de la rude écorce Et l'amour germe au cœur du conquérant dompté ! Vénus qui fait s'unir les cœurs, les mains, les bouches, Et verser des larmes farouches Aux vierges en émoi qu'étreint sa volupté !
FLORIA, troublée. Vénus est redoutée ici. Je suis vestale ; Si je servais Vénus, même en secret, Cette flamme pure et fatale Sur l'autel sacré s'éteindrait ! Bruit au fond. Épouvante des groupes réveillés soudain.
LES FEMMES. Un bruit de pas ! Terreur mortelle ! Grands dieux ! Cette ombre !... Quelle est-elle ?... Scaurus surgit en pleine lumière.
LES MÊMES, SCAURUS, LES VESTALES, puis LE VEILLEUR.
FLORIA. Scaurus !
SCAURUS. Silence !
LIVIE. Encor vivant !
SCAURUS. J'ai cru mourir : meurtri, sanglant, Jusqu'ici j'ai rampé dans l'ombre ; Je reviens pour guider vos pas. Dans les détours du hallier sombre, Vous me suivrez : échappés au trépas, Demain, nous rejoindrons nos vaillantes armées Pour venger nos héros tombés sous les framées. Suivez-moi !
FLORIA. Non ! la nuit est plus hostile encor ; Ton funeste projet nous conduit à la mort !
LIVIE. Épouse fidèle et loyale, Ma vie était liée à celle d'Euryale. Je reste !
SCAURUS, aux femmes. Vous voulez donc périr !
LES FEMMES. Floria Décide notre sort !
FLORIA, obstinée. J'appartiens à Vesta !
LE VEILLEUR, s'approchant de Livie. On prépare au consul la couche funéraire Je viens chercher sa veuve.
LIVIE. Ombre plaintive et chère, Noble époux que bientôt je suivrai dans la nuit, Quand pourrai-je apaiser, faible et triste Livie, Ton âme, de vengeance encore inassouvie ? Au moment où elle s'éloigne avec le Veilleur, les guerriers d'Hildibrath paraissent au fond du Théâtre, l'épée et la torche à la main.
LES MÊMES, moins LIVIE et LE VEILLEUR. HILDIBRATH et LES BARBARES. [En passant auprès des Barbares, Livie examine avidement leurs armes et surtout leurs trophées de guerre, espérant découvrir le meurtrier d'Euryale ; puis elle sort au moment où Hildibrath est arrivé près de l'autel. Scaurus est entouré par les femmes qui veulent le cacher.]
HILDIBRATH, aux siens. Trouvez le fugitif ! Gardez la porte !
FLORIA. Que viens-tu faire en ce lieu ?
HILDIBRATH. Que t'importe ?
FLORIA. Ne crains-tu pas les dieux ?
HILDIBRATH. Je dois ici Chercher Scaurus, qui fuit devant nous !
SCAURUS, surgi de l'ombre. Me voici
Les Barbares s'emparent de Scaurus et
le chargent de chaînes. FLORIA, à Hildibrath. Prends garde ! Sacrilège ! Notre déesse le protège. Marcomir te l'a dit : tu mourras, si tu veux Opposer la force à mes vœux !
HILDIBRATH. La parole du chef n'épargne que les femmes !
FLORIA. Ah ! que ne connaît-il les desseins que tu trames !...
HILDIBRATH. Fais-le venir toi-même, ô prêtresse ! Il est là : Le Romain doit périr sous ses yeux !
FLORIA et les Vestales, remontant en courant vers le fond. Il vivra ! Elles appellent le chef Barbare. Marcomir !... Marcomir !...
LES MÊMES, MARCOMIR.
MARCOMIR, paraissant. Qui m'appelle ?...
FLORIA. Moi ! Floria !
SCAURUS, à la Vestale. Tais-toi !
FLORIA. Sauve Scaurus !... Fidèle A ton serment, délivre-le !....
SCAURUS, avec violence. Tais-toi ! Je te défends de l'implorer pour moi !
FLORIA. Sauve-le, Marcomir !
SCAURUS, hors de lui. Sacrilège et folie Puissé-je mourir de honte et d'horreur, Plutôt que de voir ta lâche terreur Demander pour moi grâce de la vie !
MARCOMIR. C'est un brave ! A Floria. Et tu veux que je le sauve ?
SCAURUS, avec une mâle fureur. Non [N'accepte rien de lui, Floria ! sa clémence N'est que piège grossier cachant la trahison ! Un Marcomir ne peut mentir à son renom !]
Je te hais, ô vainqueur ! je suis en ta puissance. Achève ta victoire et frappe de ta main ! Frappe-moi, Marcomir, sans que ton fer s'égare Et voyons qui de nous saura le mieux, Germain, Toi, m'égorger en vrai Barbare Et moi mourir en vrai Romain ?
MARCOMIR, à Hildibrath et aux Barbares. Déliez le captif ! A Scaurus. Sois libre A Hildibrath hésitant. Je le veux !
FLORIA et LES FEMMES. Prodige ! Vesta se révèle Et sa douceur surnaturelle En clémence fleurit dans l'âme du vainqueur
SCAURUS, à Floria. Femme, sais-tu si ce bienfait moqueur Ne cache pas quelque dessein funeste ?
FLORIA, confiante. Il proclame, Scaurus, la puissance céleste ! Accepte ton salut.
SCAURUS, humilié. Mieux valait le trépas !
MARCOMIR, à Hildibrath. Protège sa retraite et dirige ses pas. Hors des barrières Qu'il soit conduit par nos rondes guerrières ! Toi, garde les abords du temple. Sois tout prêt A m'obéir, quand tu connaîtras mon arrêt ! Sortie de Scaurus et des Barbares que suit, un instant, le jeune chef en s'entretenant avec Hildibrath. Sur un geste de Floria, les femmes, de leur côté, se retirent sans bruit ; les Vestales vont, sur les gradins éclaires par la lune, se livrer au sommeil... Marcomir redescend alors vers la prêtresse ; au moment où, alarmée de leur solitude, elle veut se retirer, il la retient d'un geste très doux.
SCÈNE V
MARCOMIR.
Reste. Rassure-toi, prêtresse auguste, Mon arrêt de mort était juste ; Mais tu l'as fléchi sans effort. Un dieu d'amour me tenait sous le charme De tes yeux doux et fiers, de ta pure beauté ; Mon cœur, sans résister, t'écoute et me désarme ! Quel sortilège a pu, brisant ma volonté, Maîtriser ma rude colère Et, pour t'obéir ou te plaire, Donner la vie à ce Romain ? D'où vient le pouvoir tutélaire Qui courbe mon front sous ta main ? De cet autel sacré n'es-tu pas la déesse ?
FLORIA. Non. De Vesta je ne suis que prêtresse.
MARCOMIR. Tout tremblait devant moi, mais je tremble à mon tour. Serait-ce l'invincible amour ? Je ne connaissais pas cette ardeur enivrante. Ta froideur même attise en mon âme brûlante Ce feu qui nous égale aux dieux. Imprudente, si tu résistes à mes vœux, Ne compte plus sur ma clémence. En vain, j'aurai sauvé ce temple, cet autel, Ces femmes !
FLORIA, alarmée. Que dis-tu ? Quoi ! le péril mortel N'est donc pas conjuré, Barbare ?
MARCOMIR. Il recommence. Les vainqueurs sont lassés ; c'est l'heure du festin ; Quand ils auront puisé dans la chaleur du vin Une vigueur nouvelle, une fureur sauvage, Ils retourneront au carnage. Sois à moi !
FLORIA, indignée. Marcomir !
MARCOMIR. Vierge, c'est ton devoir. Moi seul arrêterai les guerriers en furie Qui tremblent devant mon pouvoir. Pour sauver la cité meurtrie, Vestale, accepte mon amour !
FLORIA. Jamais !
MARCOMIR. La ville, au point du jour, Ne sera plus, livrée à l'incendie, Que décombres sanglants !
FLORIA. O dieux ! la ville en cendre !
MARCOMIR. Un mot d'espoir et je cours la défendre ! O Floria, je t'aime, je te veux ! Viens ! sois à moi, malgré tes dieux !
FLORIA. Jamais !... Pour moi, l'amour n'est que souillure ! La mort est le destin de la vestale impure !
CHŒUR DES BARBARES, dans la coulisse, pendant ce qui suit. [Freia s'éveille. Erta s'endort ! Dans Asgard mugit le dieu Thor ; Odin comble le ciel sans bornes. Donar tonne, les fils d'Ymer Soulèvent les flots de la mer Jusqu'aux pieds affreux des trois Nornes !]
MARCOMIR. Tu condamnes tes sœurs, toi qui les sauverais En te donnant à moi !... Dans nos vastes forêts Laisse-moi t'emporter !... Je te veux et je t'aime !
FLORIA. [Vesta ! n'écoute pas cet odieux blasphème !]
CHŒUR DES BARBARES, dans la coulisse. Vive Odin ! vive Thor ! Aux Romains la mort !
MARCOMIR, à Floria effrayée. N'entends-tu pas ces cris ?
FLORIA, avec douleur. Bourreau !
MARCOMIR. Moins que toi-même ! C'est toi, par tes rigueurs, qui donneras la mort A tous les tiens !
FLORIA, avec une violence indignée. Barbare ! et plus cruel encor Que les tueurs des enfants et des femmes, Digne chef des hordes infâmes, Va-t'en !... Suppliante et humble tout à coup. Ah ! qu'ai-je dit ?... [Que mon fol orgueil soit maudit ! Tu vois !... je supplie et je pleure ! La douleur égare mes sens ! Asservie, il faut que je meure Au pied des autels impuissants !
MARCOMIR. Je n'entends rien ! je te veux et je t'aime !
FLORIA, éperdue. Ah ! si tu m'aimais sans blasphème Et si ton cœur avait pitié de mon émoi,
Tu voudrais me laisser maîtresse de
moi-même Je ne te hais pas. Sois plus magnanime ; A nos yeux, hélas ! la force est un crime !...] La clameur des Barbares devient plus menaçante. Floria implore la clémence du guerrier et accepte le salut de ses sœurs. Pardonne-moi ! J'ai peur ! sauve-les !
MARCOMIR. Tu le veux ?... Appelant le chef demeuré au dehors. Hildibrath ! que les rudes clameurs et les feux S'éteignent sur-le-champ !... Tout soldat qui s'enivre Ou se révolte aura, demain, cessé de vivre ! Prépare le départ. Rassemble nos guerriers Et que ces cris de mort soient les derniers ! Hildibrath s'éloigne ; ses ordres sont obéis et les environs retombent peu à peu dans le silence. Marcomir s'incline devant Floria. Écoute !... Tout se tait. La ville est délivrée ; Que la paix rentre dans ton cœur ! Divine Floria, ta beauté m'est sacrée ; Je ne parle plus en vainqueur.
FLORIA, étonnée. Mais quel homme es-tu donc ?
MARCOMIR, avec émotion. Je te l'ai dit, je t'aime ! Ne me redoute plus : cet aveu, tu le vois, N'offense plus tes vœux et tremble dans ma voix. Je ne demande rien. Tu parleras toi-même.
FLORIA. Que dirais-je ?... Mon âme, encor pleine d'effroi, Se trouble et ta douceur augmente mon émoi. Une terreur se mêle à ma reconnaissance. Je crains maintenant ta clémence Plus que je n'ai craint ta fureur. Au seuil de la nuit endormie, Je sens dans l'ombre, avec frayeur, Rôder Vénus, la déesse ennemie. Je redoute l'éclair farouche de tes yeux, Ta voix, jusques à ton silence !
MARCOMIR. Ah ! ne crains rien ! livre ton cœur joyeux A la lumière, à l'espérance ! Ne méconnais pas mon amour... Regarde !... j'implore à mon tour : C'est moi-même qui te supplie !
FLORIA, sans force. De trouble mon âme est remplie ! O Vesta, vois mon désespoir, Mon angoisse, hélas ! et ma peine !
MARCOMIR. Viens ! Je suis roi, tu seras reine Et partageras mon pouvoir ! Viens ! tu connaîtras les ivresses, L'extase des mâles caresses Et celles de l'ardent baiser !
FLORIA. En mon cœur prêt à se briser Quelle tendre langueur pénètre ? D'où vient que je me sens renaître A l'étrange douceur Du vertige berceur Qui m'entraîne, à travers une lueur d'aurore, Malgré moi, dans les bras du héros qui m'implore ? Le Feu s'éteint brusquement sur l'autel. Floria, épouvantée, jette un cri de détresse. Ah ! Vesta m'abandonne !... Et dans la sombre nuit Je m'égare !... N'approche point ! Je suis perdue !
MARCOMIR. Rassure ton âme éperdue ! Viens ! viens !
FLORIA, essayant de repousser Marcomir. Non ! Vesta me maudit !
MARCOMIR. Si Vesta te délaisse, Tu serviras Freia, déesse de jeunesse Et d'amour !
FLORIA, surprise. Freia ?
MARCOMIR, puis FLORIA, conquise et s'abandonnant à lui. Sœur du jour,
Freia, par qui l'avril de rayons
s'illumine,
Aime ! l'amour n'est pas impur ; Tu peux céder à son ivresse. Freia la blonde, aux yeux d'azur, Nous sourira, bonne déesse !...
ENSEMBLE Aux parfums de la nuit d'été, Mêlons les baisers de nos lèvres, Pour apaiser les mêmes fièvres Dans une immense volupté.
[Mon cœur, qui s'ignorait lui-même, Ne sait désormais rien de moi, Sinon, dans un confus émoi, Que je me donne et que je t'aime !] Rideau.
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ACTE TROISIÈME
Un carrefour dans la ville haute, devant une porte du rempart à demi démantelée. Traces d'assaut et d'incendie. Au loin, la plaine, avec le cours et les berges du fleuve. Maisons ; murailles. Temple de Vesta. Le matin, au lever du soleil.
HILDIBRATH, LE VEILLEUR, puis SCAURUS, BARBARES, HABITANTS DE LA VILLE, VESTALES. Les Barbares, groupés au fond et au milieu de la scène, avec leurs chariots chargés de butin, et qu'on charge encore, font leurs apprêts de départ. Les habitants, hommes, femmes, enfants, anxieux, sur les côtés de la scène.
HILDIBRATH, à cheval, donnant ses ordres aux chefs. Sonnez l'appel à vos cohortes !... Groupez-les aux pieds du rempart !... A d'autres. Faites ouvrir toutes les portes... Donnez le signal du départ... Mouvements des habitants de la ville et sourdes exclamations de joie. Préparatifs de départ chez les Barbares.
CHŒUR DES GALLO-ROMAINS. Ce qui suit à l'avant-scène et à mi-voix. Le départ !... O bonheur! O joie ! O délivrance!
UN HABITANT. On ose à peine y croire après tant de souffrance.
UN AUTRE. Il a raison, Et pour moi je n'y croirai guère Tant qu'on ne verra pas leurs chariots de guerre Disparaître à l'horizon.
CHŒUR, à part. On va donc rouvrir les cachettes...
UN AUTRE GROUPE, de même. Du sol exhumer les cassettes.
LES FEMMES. Et d'eau lustrale arroser la maison !
LE VEILLEUR, s'avançant au milieu de la foule. N'oublions pas les sacrifices Que nous devons aux Immortels... Divinités libératrices ! Le sang des bœufs et des génisses Va ruisseler sur vos autels ! Les Barbares se mettent en route.
TOUS, avec joie. Ils partent !...
UNE FEMME, furieuse. Peuple de bandits Voyez le butin qu'il emporte...
LES FEMMES. Argent, bijoux !... Ils ont tout pris
SCAURUS, survenant. Argent ! Bijoux !... Femmes, qu'importe ? Votre honneur avait plus de prix.
On a pillé votre demeure, Mais aucune de vous ne pleure Sa fille outragée à ses yeux, Ni son fils captif ! Gloire aux dieux !
TOUS. Gloire aux dieux ! Les Barbares ont disparu.
LE VEILLEUR, du haut des murs. Les Germains ont franchi les remparts ; des créneaux On voit déjà l'armée entière Comme un serpent dérouler ses anneaux Dans un nuage de poussière ! Reprise de l'appel à la prière par Scaurus et par le chœur.
LE VEILLEUR, triomphant, puis LA FOULE. C'est Apollon qui les met en déroute ! Et décoche sur eux de la céleste voûte Les premiers rayons du matin, Flèches d'or du carquois divin.
Vêtu de pourpre orientale, Le dieu du jour, à son réveil, Chasse au loin la horde brutale Qui vient du pays sans soleil !
SCAURUS. Bannis la crainte de ton cœur, Donne libre cours à ta joie, Peuple, depuis hier en proie A la tristesse, à la terreur ! Et par les jeux, les cris et les chants et la danse, Fête ce jour de délivrance ! Vive allégresse dans la foule ; les joueurs de flûte arrivent, précédés des jeunes gens qui dansent gaîment et forment des groupes animés. Puis survient le cortège des sacrificateurs qui se rendent dans l'enceinte du temple de Vesta pour y consulter les présages divins.
CHŒUR. Voici venir vers toi, déesse protectrice, O Vesta, dont le nom fut toujours révéré, Le blanc troupeau du sacrifice, La biche, les agneaux que le couteau sacré Frappera sur l'autel paré de fleurs écloses, Mêlant le sang vermeil à la pourpre des roses ! Après le passage du cortège, quand les Vestales, avec les longues palmes du rite, ont aspergé d'eau lustrale le parvis souillé par les Barbares, les divertissements et les jeux populaires recommencent sur la place.
BALLET
LE GRAND SACRIFICATEUR sort du temple, suivi du cortège du sacrifice. Les présages sont heureux !
CHŒUR. Gloire aux dieux ! La foule, débordante de gaîté, organise une farandole immense, à travers les monuments, les colonnades et les rues, aux sons des flûtes, des crotales et des tympanons. Floria paraît enfin sur le seuil de la demeure sacrée. Aussitôt cessent les jeux de la foule qui se détourne vers elle, avec déférence.
LES PRÉCÉDENTS, FLORIA, LIVIE.
LES VESTALES. C'est Floria ! C'est la prêtresse de Vesta... Jamais on ne la vit plus belle, D'où lui vient ce front radieux Et cette flamme dans les yeux ? A quel dieu nouveau sourit-elle ?
TOUTES, s'inclinant. Salut ! prêtresse de Vesta !
FLORIA. Chastes filles de la déesse, C'est à moi de courber la tête devant vous : J'ai trahi mes serments... Je ne suis plus prêtresse !... Et Marcomir est mon époux ! Mouvement général d'indignation.
LE CHŒUR. Son époux !... Un Barbare !... O Vestale infidèle, Qui va sur nous du ciel attirer le courroux ! Honte sur elle ! Honte sur nous !
LES VESTALES. Honte sur elle !...
SCAURUS. Insensés, taisez-vous ! Elle a trahi ses vœux pour le salut de tous ! C'est pour vous épargner à tous quelque supplice, C'est pour vous conquérir à tous la liberté, Que la Vestale a fait le sacrifice De sa virginale beauté. A Floria. Romaine !... que la ville échappée au massacre Par un culte sacré te vénère et consacre Ton nom à l'immortalité !
LES VESTALES, agenouillées devant Floria. De tes pas nous baisons la trace.
SCAURUS et LE VEILLEUR, inclinés. Reçois les actions de grâce Du peuple par toi racheté !
LES HOMMES, de même. Celles des époux et des pères...
LES FEMMES, de même. Celles des filles et des mères...
TOUS. Celles de toute la cité !
FLORIA. Je ne mérite pas ce glorieux hommage.
LIVIE. Toi qui, pour les sauver du plus cruel outrage, Sans amour, as subi la loi de ton vainqueur
FLORIA, descendant à l'avant-scène avec Livie. J'ai subi la loi de mon cœur ! A la prière des captives, Les dieux étaient demeurés sourds Ma mort n'eût point sauvé les jours De nos suppliantes plaintives ; J'ai racheté vos biens et votre sang
Au prix de mon amour, libre et
reconnaissant ! En rançon de salut au noble roi qui m'aime, Pour suivre mon époux je vais sous d'autres cieux Sa patrie est la mienne et ses dieux sont mes dieux.
LIVIE et les femmes. Prodige nouveau ! l'amour transfigure La vierge vouée à l'autel ! Pour la tendresse d'un mortel Elle a quitté le rang de prêtresse et d'augure. O puissance d'amour, ô prodige, ô nature !
LES PRÉCÉDENTS, MARCOMIR à cheval. LE CHŒUR, à Floria. Voici Marcomir, ton époux. Tous se prosternent.
MARCOMIR. Romains ! Relevez-vous ! Il descend de cheval. Ta ville m'appartient, Scaurus ! Pour te la rendre Je demande un bon prix ! Et tu dois le comprendre.
TOUS, implorant. Pitié !
SCAURUS. N'abuse pas de ta force, ô Germain !
MARCOMIR. J'ai fixé la rançon !... Mouvement d'effroi. Sans parole inutile... Prenant la main de Floria. La voici !... Je la prends !... et je te rends la ville ! Elle ne saurait être en plus vaillante main. Exclamation de joie.
TOUS. Les dieux veillent sur toi !...
SCAURUS. Fléau de notre armée, Tu vaux mieux que ta renommée, Tu méritais d'être Romain.
MARCOMIR, à Floria. Depuis longtemps, par chaque porte, O reine, nos guerriers ont franchi les remparts. J'entends au loin rouler leurs chars. Voici le tien et ton escorte. Le char royal paraît, entouré de guerriers et de femmes.
Choisis, parmi tes sœurs, celles qui te
suivront, Et, je le jure, aucune d'elles, A tes côtés, ne subira d'affront !
LES VESTALES, venant à Floria, suppliantes. Ne choisis pas, ô Floria ! Notre rêve est de te suivre Et de vivre Où le sort te conduira !
FLORIA. Par aucune de vous, je ne serai suivie. Mes sœurs, le ciel enchaîne votre vie Aux murs fondés par vos aïeux ! Et, seule ici, je puis oublier ma patrie Pour celle de l'époux que j'ai reçu des dieux.
LIVIE. Mais moi, je n'ai plus de patrie : La mienne, hier, me fut ravie Par le trépas de mon époux ! Permets que je parte avec vous...
Je veux fuir la ville funeste Où Mars, de mon bonheur jaloux, A détruit mon amour ! Un seul devoir me reste ; Je ne puis l'accomplir ici !
FLORIA. Viens avec nous et sois ma compagne !
LIVIE. Merci ! Mais, d'abord, je dois rendre Les funèbres devoirs à celui qui n'est plus. Le bûcher, hors des murs, fut dressé par Scaurus Et je vais du héros y recueillir la cendre... Chants funéraires hors de scène.
SCAURUS. Voici le noir cortège et nos amis sont prêts.
MARCOMIR, redescendant, à Floria. C'est l'heure du départ !
FLORIA. Pas encor, je te prie.
MARCOMIR, à Floria. Pour qui ces lugubres apprêts ?
FLORIA. Un vaillant ! L'époux de Livie ! [Permets-moi de me joindre à cette foule amie Pour les derniers adieux. Nous partirons après.]
LIVIE. Noble époux, qu'a trahi la fortune contraire, Reçois l'hommage offert à ta gloire guerrière : Nos pleurs amers et nos chants attristés Apaiseront tes mânes irrités.
Des bords du Styx, de la funèbre rive Monte vers nous ta prière plaintive ; Rassure enfin ton esprit affligé : Je jure encor que tu seras vengé ! Le cortège funèbre paraît et défile au fond de la scène.
MARCOMIR, à Floria, qui s'apprête à emmener Livie et à suivre le cortège. Ta présence lui fait une mort triomphale. Le nom de ce héros ?...
FLORIA. Euryale !
MARCOMIR. Euryale ! Le consul ?
FLORIA. Oui, tué par l'un des tiens.
MARCOMIR, à voix basse. Tais-toi ! Celui qui l'a frappé, c'est moi !
FLORIA, effrayée à la vue de Livie qui s'est armée d'un fer de javelot dont la hampe est rompue. Grands dieux !...
LIVIE. Ce javelot trouvé dans la blessure !... Ce fer me vengera !...
FLORIA, d'instinct, se plaçant entre Marcomir et Livie. Te venger !... Es-tu sûre De connaître celui qui frappa ton époux ?
LIVIE. C'est-pour le découvrir que je pars avec vous !
FLORIA. Ne pars pas !... Livie, surprise, la regarde ; elle reprend plus doucement. Reste ici, dans ta ville natale, A l'abri des hasards que nous allons courir.
LIVIE, étonnée. Tu ne m'emmènes plus ?...
FLORIA, troublée. Le tombeau d'Euryale, Tes souvenirs… le deuil dont tu pourras guérir...
LIVIE, descendant, soupçonneuse. Tu ne m'emmènes plus ?
FLORIA. A quoi bon ?
LIVIE. Il me semble Que nous devions partir ensemble ; Et tu changes d'avis !... Pourquoi ?
FLORIA. J'avais tort !...
Elle pose sa main sur le bras de Marcomir
pour le faire remonter et l'éloigner de Livie
LIVIE, à part. Elle tremble ! Ce soin de le couvrir de son corps !... Cet effroi Lui ! Ce serait lui !
SCAURUS, à Livie. Viens ! On n'attend plus que toi !
LIVIE, farouche, épiant l'effet de ses paroles. Pas avant d'accomplir ma tâche !
FLORIA redescendant, inquiète. Tu veux ?...
LIVIE, à l'adresse de Marcomir, qu'elle va contraindre à se trahir. Je veux punir le lâche... Mouvement de Marcomir retenu par Floria. Qui, feignant de se rendre à mon époux vainqueur, L'a frappé dans le dos !
MARCOMIR, indigné, repoussant Floria, et allant à Livie. Tu mens !... c'était au cœur !
LIVIE le frappe violemment de son javelot. Au cœur donc !... Marcomir tombe.
FLORIA, se jetant, éperdue, sur le corps de Marcomir. Ah ! l'infâme a tué mon époux !
LIVIE, triomphante. Mais j'ai vengé le mien !...
SCAURUS, vers la foule. La mort passe !... A genoux !
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